Document Gilles ROLAND

Dans la mémoire collective de la Grande Guerre résonnent les noms de Verdun, l’Artois, la Somme, le Chemin des Dames. On oublie souvent le sang versé en Alsace, la « chère province » perdue en 1870.
Sur la ligne bleue des Vosges une succession de crêtes partant du Lingekopf au Kleinkopf en passant par le Schraztemannele et le Barrenkopf sera en 1915 le théâtre de violents combats.

Cet endroit, va devenir le « tombeau des Chasseurs », la sépulture des sacrifiés allemands et français : LE LINGE, dominant Munster et sa vallée, Orbey et ses lacs.

Le Schratzmannele vu d’un observatoire français

Voici le résumé succinct de ces combats * :

« Le 20 juillet la 7e armée attaque le Linge : la 129e D.I. du général NOLLET y prend pied tandis que la 47e D.I. échoue contre le Reichackerkopf. Les assauts recommencent le 22. Les chasseurs progressent vers le Barrenkopf. Le 26, le 30e B.C.A. prend la crête du Linge, le 14e B.C.A. le collet du Linge. Le Schratzmannele oppose une vive résistance, ses défenseurs ne cèdent pas. Le lendemain les Allemands font même quatre contre-attaques. Le 15e B.C.A. prend le Barrenkopf puis le reperd.

Le 29, nouveaux assauts français pour consolider les positions conquises. Le 1er août, les chasseurs (les Diables bleus) attaquent encore au Barrenkopf et au Schratzmannele. Dans tout le secteur du Linge, les actions d’infanterie se succèdent sans répit jusqu’au 26 août, jusqu’à ce que les deux adversaires s’accrochent aux sommets dévastés, séparés par le no man’s land.

Le 31, un violent pilonnage allemand d’obus à gaz s’abat sur le Linge, le Schratzmannele, le Barrenkopf, le Wettstein, long de plusieurs heures. Durant plusieurs jours les combats persistent. Le 9 septembre, des attaquent allemandes au gaz et aux lance-flammes se déroulent au Linge et au Vieil-Armand. »

Pourtant ce n’était « qu’une butte misérable » **,

une « montagne dérisoire » ***.

Tranchée dans l’enceinte du Mémorial

Aujourd’hui un mémorial retrace ces furieux engagements, les tranchées bétonnées sont sorties de l’oubli.

D’hier à aujourd’hui

Après la visite du Mémorial vous pourrez emprunter le chemin qui mène au Kleinkopf. Là, le promeneur n’est troublé que par le sifflement des oiseaux ou les tronçonneuses des forestiers. Mais le regard s’attarde sur un monument, une stèle, une tranchée visible dans le sous bois, du barbelé rouillé, un blockhaus dissimulé dans la végétation, tout ce qu’une terre meurtrie garde depuis 90 ans.

Blockhaus au sommet du Schratzmannele surnommé le château par les troupes françaises

On sait alors que cet endroit tranquille a été écrasé sous un tonnerre de feu, que son sol bouleversé était un immense charnier avant que les cimetières français et allemand du Wettstein et du Barenstall n’accueillent les restes des combattants. Des croix isolées indiquent l’emplacement des corps exhumés des dizaines d’années plus tard.

Le cimetière de Munster a choisi de laisser reposer côte à côte les soldats des deux camps, unis dans le même sacrifice.

Le carré militaire du cimetière de Munster

Les conflits du XX siècle ne peuvent s’oublier, non seulement parce que nos parents, grand-parents et arrière-grands parents les ont vécus, mais parce que ces guerres civiles européennes ont été de véritables génocides.

Notre devoir est d’enseigner à ceux qui nous suivent, que l’Europe en paix dans laquelle ils vivent, a été construite sur la souffrance et la mort de millions d’hommes sacrifiés à la folie meurtrière de quelques-uns uns.
Tant qu’il restera des endroits comme le Linge, et bien d’autres, pour nous le rappeler, ceux dont on se souvient ne seront jamais tout à fait morts.

* Ce texte « La guerre des tranchées en Haute Alsace » est celui qui figure à l’entrée des cimetières militaires nationaux en Alsace. Il émane du ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre.
** Commandant Bretteville EM de la 129è DI
*** Capitaine Belmont 11è BCA